jeudi 28 septembre 2017




De quoi parle Ça ? De quoi parle, au fond, ce roman-monde, aux entrées multiples, qui fait figure de clé de voûte de l’édifice kingien, et qui est probablement sa réussite la plus incontestable, son A la recherche du Temps Perdu ? King nous l’annonce dès l’incipit du livre : « Mes enfants, la magie existe ». Mais où réside la magie ? Elle n’est pas dans le présent, puisque le réel se réinvente à chaque seconde dans l’arborescence des causalités créées par l’appareil sensitif et cognitif. Elle n’est pas dans le passé, car celui-ci n’est qu’une concrétion d’images mortes encodées par le cerveau pour se constituer l’illusion d’une expérience. Alors où ? Peut-être dans les tunnels, soupiraux, cavités et chausses trappes qui résident entre ces deux blocs de l’existence, passé et présent. Ces tunnels dans lesquels les souvenirs, les lumières mortes, aspirent à revivre, à se déminéraliser pour redevenir poreux, enfin, et accéder aux pavillons de l’Instant. Ça  est évidemment une métaphore de l’enfance, avec cette superbe invention qui fait perdre la mémoire aux héros qui ont quitté Derry, et cette lente anamnèse qui s’instille peu à peu à mesure que leur pas les ramènent vers l’origine du Mal, vers Derry. Ça un roman sur la plastique mémorielle, et peut probablement se situer sans pâlir aux côtés des plus grands romans sur la mémoire, Au dessous du Volcan de Lowry, Abattoir 5 de Vonnegut, où même Ulysse de Joyce, car c’est au fond l’unique fonction du roman moderne : proposer une expérience sensible de la mémoire. Sculpter le temps. Formidable labyrinthe de sensations et de souvenirs, Ça s’érige comme un gigantesque monument aux morts, percé de cavités, dont les frondaisons communiquent secrètement avec les racines les plus obscures. On y voyage littéralement pour remonter le temps, et la ville de Derry, ville de toutes les villes, territoire de l’enfance et du Mal, est le cœur vide, peuplé de courants d’air, de cette construction mentale stratifiée. Si le romanesque est un genre littéraire dédié à la mémoire, alors nul doute que Ça figure dans le panthéon du roman, car la mémoire y est organique, pulvérulente, elle vibre à chaque instant au fil de trajectoires fatales, d’aller-retours incessants, de flashbacks qui en contiennent d’autres, King étageant avec virtuosité des rangées entières de poupées russes gorgées d’horreurs et de merveilles. Le retour au pays, thème éminemment romanesque au moins depuis Homère, est aussi le retour à soi, le dévoilement progressif d’un « Je » liminaire dépouillé de ses couches d’ego et de persona. A la racine de l’identité, qu’est-ce qui fait le soi ? Qu’est-ce qui fait le ça ? La somme des souvenirs ? la somme des sensations ? La somme des souvenirs soustraite à la somme des sensations ? Les souvenirs ne seraient-ils eux-mêmes que des sensations ? King excelle dans Ça parce qu’il y met aussi toute son enfance, qu’on devine chaotique, ultra violente, traumatique. On sent la fièvre compulsive de celui pour qui les pages s’accumulent sans peine, par dizaines de feuillets, sous la pression énorme de réminiscences qui sont autant de spasmes incontrôlés, et remontent à la surface par pelletées entière, boueuses et émétiques, aidées en cela par les nombreux adjuvants chimiques dont on sait que King ne fut pas avare pendant les années 80. Une douleur présente à chaque page, culminante dans des passages outranciers que plus personne n’oserait publier aujourd’hui dans un best-seller – la masturbation fatale de Patrick Hockstetter, le gang bang de Beverly, Bowers tuant son petit frère encore nourrisson, les propos orduriers de la terrifiante Mrs Kersh, etc…Ça, livre monstre, livre total puisque c’est aussi l’histoire d’une ville entière, qui s’anime sous nos yeux au fil de véritables travelling littéraires embrassant avec une générosité et une empathie hors du commun des centaines de personnages qui tous dressent le portrait d’une Amérique sur trois générations. Interludes, articles de presse, témoignages et poèmes s’entremêlent pour tracer une véritable généalogie du mal, avec cette idée sous-jacente chez King que l’Amérique, est, par nature, une terre maudite. Joyce avait Dublin, Williams Carlos Williams avait Paterson, King aura Derry, cette chimère née dans les eaux troubles d’un mirage de Bangor…
Le téléfilm de Tommy Lee Wallace avait pour mérite de respecter la construction mémorielle du livre, avec un académisme un peu balourd. Il avait pour lui un casting d’enfant fort convaincant, et prenait son temps pour caractériser chacun d’entre eux avec des scènes emblématiques tirées telles quelles du roman. A ce titre, on peut estimer que le travail d’adaptation de Muschietti est plus que navrant : le choix de simplifier la trame narrative en coupant le film en deux parties laissait présager du pire, et on a eu le pire. Ce premier volet, desserti de sa gangue mémorielle, ne ressemble au fond qu’à une grossière attraction Disney, un train fantôme peuplé de personnages désincarnés. Les choix scénaristiques sont en général abscons, ou franchement stupides : comme dans la plupart des films américains d’après les années 2000, le film pêche d’abord par son incapacité totale à créer une immersion. Aucune caractérisation des personnages, une exposition réduite à sa portion congrue, incapable d’installer une tension ou un semblant d’atmosphère : les enjeux sont donnés dès le départ sans qu’on ait le temps de s’intéresser aux personnages et à leurs motivations. Bill Denbrough ? On comprend à peine qu’il veut venger son frère, et le jeune acteur a l’air plus indisposé qu’autre chose. Ben Hanscom se voit, pour une raison obscure, bombardé « gardien de la mémoire » en lieu et place de Mike. Scène absurde où l’enfant obèse présente sa chambre couverte d’articles de journaux comme s’il était un profiler ou un agent du FBI. Pourquoi enquête-t-il sur le passé de Derry ? Cela n’a aucun sens. Probablement est-ce encore le résultat d’une de ces tractations scénaristiques conçues par une armée de script doctors cyniques et paresseux. Beverly est grossièrement caricaturée et ressemble à une gravure de mode alors que le téléfilm avait judicieusement choisi une actrice plutôt ingrate. Richie n’est pas drôle une seule seconde – on le confond d’ailleurs avec Bill tant les deux acteurs se ressemblent, gamins à grosses têtes pâles sans envergure– et Eddy Kapsbrack est antipathique tant son hypocondrie est soulignée à gros traits. Mike Hanlon, morose et empoté, doit avoir tout au plus deux répliques, et à aucun moment on ne comprend ce qui le lie aux autres. Le clan Bowers souffre également de ce manque de caractérisation quasi-pathologique…tout est souligné, surligné, et surtout tout s’enchaîne sans qu’à aucun moment on ne sente battre le pouls de la ville de Derry. C’est le problème du cinéma américain moderne : cette incapacité à « remplir » un espace, à le faire exister. On a l’impression que la ville compte une dizaine d’habitants. Il n’y a aucun hors-champ. On sait gré au cinéaste argentin, en transposant l’action dans les années 80, de n’avoir pas cédé aux sirènes du fétichisme synthwave, comme l’avait fait Stranger Things. Mais à quoi bon cette transposition si elle se résume à quelques colifichets timides ? Pourquoi ne pas avoir tenté de contextualiser un peu le Derry des années Reagan ? C’est sans doute trop de travail d’écriture pour un film d’horreur moderne, et pour les studios : ils ont signé pour un rollercoaster clinquant, pas pour une fresque sociale. De même les parents sont à peine esquissés : au moins le téléfilm avait-il réussi à conserver l’ambiguïté des rapports de Bev à son père, à suggérer le deuil terrible des Denbrough... Chez Muschietti les adultes n’existent à aucun moment, ils font de la figuration, exception faite de la mère Kapsbrack qui a le mérite d’être brossée à grands traits. Résultat, un film qui ressemble à un épisode de Chair de Poule avec un enjeu téléphoné (sauver Beverly…est-ce un hommage aux pitchs des jeux vidéos des années 80 ? la vengeance de Bill n’était-elle pas un argument suffisant ?) et cette scène dans Neibolt Street qui ressemble à un train fantôme peuplé par tous les gimmicks essoufflés du cinéma d’horreur « gothique » moderne (une scène pourtant cauchemardesque du livre à laquelle le téléfilm n’avait d’ailleurs pas osé s’attaquer). Le téléfilm de Tommy Lee Wallace avait réussi, presque miraculeusement au vu de son académisme, mais aussi parce qu’il conservait intact des patterns kingiens de mise en scène et de dialogue, à retraduire un peu de l’horreur sexuelle et du profond malaise que représente Ça. On se souvient de la terrifiante scène de douche où le clown perce un trou dans le carrelage pour apparaître devant Eddy, au prix d’effets spéciaux en stop motion qui accentuaient encore le caractère absolument grotesque, au sens noble, de l’apparition. Ici rien de malaisant, le film de Muschietti est à peine un film d’horreur, puisque la chair, et sa dégoûtation, en sont totalement absentes. Il ne reste qu’un livre d’images, enfilées comme des perles sur une trame narrative étique, aussitôt oubliées.
Et que dire du clown ? Chez King, où même chez Wallace, il terrifiait par son don d’ubiquité et sa capacité à « troller » littéralement l’inconscient des héros, à coups de vannes obscènes et de menaces. Chez Muschietti il est presque privé de parole… ne reste qu’un croque mitaine lambda échappé d’un navet à la James Wan, qui se déplace par à-coups et plans cut comme n’importe quelle tarentule/zombie/alien de série Z. Au contraire, le clown aurait dû être filmé comme Michael Myers pouvait l’être par Carpenter, c’est-à-dire comme une zone d’ombre, un angle mort de la vision, un éreintement de la pulsion scopique, ce qui est à la base de la sensation d’épouvante. Au fond Ça est une image manquante sur laquelle viennent se coudre tous les greffons de la culture populaire, une zone d'implémentation impossible, cette image clé mais lacunaire sur laquelle viennent buter les souvenirs. C'est une image fossile, un palimpseste qui fait écho au bégaiement de Bill, une mise en boucle ... définition même du traumatisme enfantin que vivent tous les Ratés, et qui sont à peine effleurés chez Muschietti.... Le pauvre Bill Skarsgard essaie tant bien que mal de sauver les meubles, mais son design de gamin hydrocéphale le place cruellement au même niveau que les enfants, là où Tim Curry incarnait parfaitement un « ogre » véritable. Car enfin, et c’est peut-être le plus gros ratage du film, Grippe-Sou est avant tout un dévoreur d’enfants, un clown lubrique inspiré par un serial killer qui enterrait des gosses dans son jardin (rappelons un des premiers meurtres du livre, où il dévore littéralement les partie génitales d’un garçonnet aux toilettes…) et surtout pas cet espèce de marionnette désarticulée à mi-chemin entre une Living Dead Doll et un musicien de néo-métal…rater jusqu’à un costume de clown, c’est là le signe que définitivement, le cinéma américain est aujourd’hui sous perfusion et n’a plus que l’ombre du savoir-faire dont il semblait encore disposer dans les années 80.

mercredi 10 mai 2017




Quelque part en France, partout dans le monde. Il est dix huit heures et l’ensemble de la classe politique et des journalistes ne fait même plus semblant de retenir son souffle. Ils ont peine à dissimuler leur sourire, on sent d’ici sourdre quelques liquides pré-séminaux, quelques suints de joie confite, il faut que ça sorte enfin, ça transpire par-dessus les fonds de teints et les autobronzants. Ils sont presque déjà usés par la joie et par ce confort tabernaculaire qu’ils se voient reconduit pour une poignée d’éons. La camelloïde Léa Salamé, sourcils soigneusement brossés pour l’occasion, passe les plats d’un plateau à l’autre, juchée sur ses talons. Il s’agit de ne pas glisser sur les traînées de laitance laissées ici et là par le gastéropode Pujadas, gommeux et imbibé de lustre, terrible masque de satisfaction poudré jusqu‘à l‘os. Ils jubilent tous à l’unisson, se sachant d’avance augmentés, promus, décorés, satellisés dans les coursives de la Deathstar. Dans les jours qui ont précédé, et dans une discrétion relative, Stratcom, la division propagande de l’OTAN, digne héritière des réseaux Gladio, a passé un accord avec Facebook et l’ensemble des quotidiens français pour faire taire définitivement les voix discordantes ou fake news. Nous y sommes enfin, dans un totalitarisme qui ne se cache même plus et désigne d’office ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Compliqué de donner des leçons à la Russie lorsque 95% des médias sont détenus par des oligarques qui programment la vie politique française avec 10 coups d’avance. Attali dira de Macron qu’il l’a «inventé». Comment ne pas le croire ? Ce nom, digne d’un Decepticon, est aussi l’anagramme de Monarc. Tarte à la crème complotiste figurant en bonne place entre le projet Blue Beam et le porte-avions de Philadelphie, Monarch fut le nom, à une consonne près, d’une vaste expérience de sujétion mentale déployée sur les tréteaux de l’opération Paperclip, dans les années 60. Mais il ne s’agit sûrement que d’une fake new également… Kubrick lui-même ne cessa d‘avouer la terreur que lui inspirait la caste dirigeante anglo-saxonne, distillant dans toute son œuvre des références à l’ingénierie sociale, à Monarch et au pouvoir obscur qui alimente en combustibles humains la bouche frangée d’étrons du mammonisme moderne. Comme un sinistre présage, quelques heures plus tard, c’est un plan totalement kubrickien qui cadre le nouveau monarque devant la pyramide du Louvre, donnant du grain à moudre aux onanistes du complot pour les 25 ans à venir. L’équipe de Macron a évidemment conscience de ce double sens et elle en joue, jouissant de baiser doublement le peuple, symboliquement et démocratiquement.



Car enfin, les complotistes, chacun sait, sont de grands naïfs : ils nourrissent eux aussi la machine en relevant des occurrences dans une réalité qu’ils croient causale, alors que depuis bien longtemps elle n’est plus qu’un programme de cryptage soigneusement déroulé. L’Histoire finalement n’a fait que mimer les révolutions scientifiques : dans un premier temps elle fut l’héritière du mythe, diffusant les reflets d’une vision préhensile du cosmos dans des sociétés premières, puis elle a commencé à s’auto-bouturer, créant des boucles de sens et des virgules de pâmoison blette là où les sédentarisations et les concrétions du monde bourgeois l’avaient emmenée, au-delà de la grande brèche du Sacré et du meurtre des nations. Philip K. Dick en avait eu la conscience prophétique, découvrant avec horreur que le monde se mettait peu à peu à ressembler à ses propres romans…Horreur suprême que celle du Démiurge malgré lui…Quelque chose de son être a fui dans le monde, emprisonnant des pans de réel entiers dans la glu d’une imagination délétère.  Nodalités. Interférences cognitives. Le réel se re-déploie à chaque seconde, mais et quelque chose de lui disparaît dans cette ré-invention constante. Mémoires votives contre mémoires génétiques. Et entre les deux le labeur des itérations égotiques qui remodèlent la fréquence du monde à l’aune de leurs névroses. Nous en sommes là : l’histoire ne créé plus que de la fiction. A force de se mirer, elle ne peut plus produire qu’une conscience d’elle-même, ce qui rend caduque l’idée même de complotisme. Il ne peut y avoir de complot dans un monde qui est devenu le complot lui-même. Un monde-piège. Un faux plancher de prestidigitateur que nous prenons pour la voûte étoilée. C’est-ce que les conspirationnistes et autres dérouleurs de logos ne semblent pas avoir perçu : jusqu’à Michel Onfray, impayable, qui annone avec son sérieux de petit pape laïcard et offensé les étapes de ce processus adémocratique, enfonceur de portes toujours plus béantes. «Je viens d’achever mon livre en ce soir d’élection», nous dit-il. Belle synchronicité. Ce provincial de la pensée – et non penseur de province – pense nous apprendre que le système a créé Emmanuel Macron, torpillé François Fillon, éradiqué les vieilles gardes pesantes de la République binaire et claudiquante qui se tortillait sur les ruines de la France gaulliste…et nous rappelle sans sourciller le scénario bien huilé de cette période électorale riche en twists, comme dans un bon Shyamalan… C’est un peu tard, Michel. Etiez-vous du genre à prophétiser la fin du rideau de fer perché sur les chicots fumants du mur de Berlin ?



Etre complotiste, dénoncer un scénario, c’est avoir encore avoir  foi en la démocratie et au déroulement causal de l’Histoire. C’est ne pas comprendre que celle-ci ne suit plus une ligne directrice – c'est-à-dire qu’elle n’est plus le produit des champs causaux et des consciences actives qui la composent,  mais qu’elle est le résultat d’une concrétion, d’opérations métaphysiques qui éclosent dans des véritables poches de non-sens générées par l’ordalie profane des technologies digitales et computationnelles. Qu’elle se comporte comme un programme dont on ré-encode constamment l’algorithme liminaire. L’histoire n’est plus qu’un système de cryptage des données qui utilise des paradigmes moraux et sociaux – démocraties, fascismes - pour entériner son code-source, pour l’infuser dans les consciences même, le rendant viral et à même de produire ses propres occurrences dans nos champs d’action, de conscience et de pensée. C’est pourquoi le réel, au lieu de produire du réel, se met désormais à produire de la fiction : il se « réduit » à mesure qu’il est pensé par le chœur des élites et le consensus cognitif parodifiant qui en émane.



Ainsi, Le Pen et Mélenchon, contrairement à ce que croit penser Onfray, ne sont pas les «idiots utiles» du système. Ils l’accompagnent depuis bien trop longtemps pour cela, ils sont au cœur de ce système, ils en sont les plis et les goitres humains peuplés d’humeurs et de ganglions post-historiques. Ils se sont littéralement couchés. Marine Le Pen a volontairement saboté son ultime débat, incarnant une baba yaga histrionique et grinçante, compulsant fébrilement ses notes comme un cancre avant un oral de brevet des collèges. Sa France Apaisée a revêtu le masque que n’espéraient même plus voir ses opposants les plus farouches - les vrais idiots utiles, transfuges de gauches moribondes qui croient encore que le FN constitue une quelconque menace pour l’oligarchie : elle a réactivé les mimiques de son père dans un acting de rombière goguenarde, charcutant son propre programme sous les yeux du gendre Macron, celui-ci n’ayant subséquemment quasiment rien eu à faire pour sortir grandi de cet échange de basse-cour. Ce débat n’en était pas un mais une mise en scène, une orchestration savamment arrangée. De même Mélenchon n’a pas pêché par mégalomanie ou par excès d’ambition personnelle : lui aussi est intégré depuis trop longtemps dans le système pour ne pas avoir eu à se plier à ses ordres : sa campagne ridicule, son auto-évaporation par voie holographique - ravivant les spectres murayens du nécrosocialisme -  ont tout aussi bien servi le système et précipité le hold up kabbalistique qu’a été la victoire de Macron-Monarc. Ce dernier est le trait d’union qui manquait entre le Kennedy de l’Amérique crypto-fasciste des années 50 et le golem cyberpunk cultivé dans les cuves placentaires du mondialisme décomplexé de la Silicon Valley et de ses sbires encravatés shootés aux micropointes de LSD. Onfray, qui porte son athéisme pubescent en bandoulière pour éviter de trop avoir à mirer l’abîme des siècles, semble découvrir que nous vivons dans une Europe totalitaire, 50 ans après la chute programmée de De Gaulle…et de nous prévenir à mi-voix qu’il ne faut pas trop «stigmatiser les complotistes». Pourtant ce n’est même plus l’histoire qui est coupable de supercherie, mas bien le réel lui-même. On l’escamote au fur et à mesure que se resserre la gangue de la tabulation générale du monde et de l’intercession permanente des réseaux, qui programment un inconscient collectif auto-génératif, créant de véritables homoncules de réalité alternative, des entéléchies numériques. Nous sommes après l’histoire, disait Muray, dans l’arrière-monde de l’après-monde. Coincés dans la buanderie d’une maison de retraite où c’est le réel lui-même qui traine ses articulations malmenées. Le Gorafi et le Figaro ne font désormais aucune différence : notre président-robot, Ultron, Macron, je ne sais plus, dégoise un discours riche d’un vocabulaire de 30 mots, adaptés au migrants et aux handicapés mentaux,  devant une pyramide de verre, dominant un parterre de clones parfaits, ces français capables de brandir le drapeau européen sans immédiatement se consumer d‘horreur. La boucle est bouclée. On ne discerne plus la réalité d’un film Marvel, les deux détricotant la trame du vrai pour assoir une eschatologie grossière à même de concilier les deux mamelles empoisonnées de la modernité : socialisme et occutisme. Le réel est passé. Les siècles sont finis.



vendredi 5 mai 2017


Marine Le Pen ou le suicide électoral. C’est à se demander, à la voir saccager son débat d’entre-deux tours avec une constance et une application fulgurante, si le FN fût jamais autre chose qu’un mirage grossier, un golem savamment cultivé dans les caves de Montretout pour pousser le peuple français à choisir comme un seul homme la dystopie libérale-libertaire dans laquelle nous sommes désormais enfoncés jusqu’au cou. Grimaçante, imbécilement condescendante, enfermée dans une coprolalie anti-système digne d’un apprenti-Conversano, incapable de donner à son programme rapiécé un quelconque semblant de cohérence, elle a ouvert une autoroute à un Macron médusé qui n’en demandait sans doute pas tant.
Le FN, petit parti dynastique, montre son vrai visage, celui d’une caste népotiste qui se torche allègrement, et depuis 50 ans, avec les valeurs d’un peuple qu’il n’a cessé de mépriser, à l’instar du reste de l’oligarchie, à laquelle il appartient viscéralement. Peut-il y avoir une vraie droite française sans aucune notion du Sacré, sans une ascendance idéologique et mystique clairement établie ? Toute verticalité a été abolie dans ces droites fantoches et hideuses qui contournent, suçotent et titillent sans relâche l’anus mondain de la vouivre Socialisme.
«Le nationalisme français implique une action révolutionnaire », disait Maurras. Les LePen n’ont aucun intérêt à cela, ils se vautrent depuis des années dans la soie dont sont faites les couches-culottes de Macron. De fait, le FN n’existe pas, il n’est que le masque revêtu cycliquement par le système pour donner au peuple français la honte de son pays et la peur de sa transcendance passée.
Charles, au secours !

mercredi 12 avril 2017



Alors que les empires de misère s'étendent à nos pieds...il reste dans la flaque du monde un peu de ces eaux gorgées d'étoiles nues, et à leur reflets fanés il nous faut abreuver ces gorges rendues exsangues par le silice des âges sombres.



jeudi 23 mars 2017




Infecte Youtubisation du monde. Pour un peu de reconnaissance virtuelle, les gros bébés joufflus du web 2.0, les « digital natives » semblent avoir pris les rênes de la connaissance, et inondent les réseaux sociaux et les canaux multimédia avec leurs têtes huileuses de suceurs de tétines narcissiques, tout heureux de pouvoir ânonner leurs lapalissades à un parterre d’ignorants crasse appâtés par l’idée de se faire une culture à moindre frais.


Tout contents à l’idée de pouvoir mirer leurs gueules de puceaux congénitaux dans la flaque aporétique de leurs stupides petits « digest » Wikipedia, ils se valorisent, les bougres, ils jouent du sourcil et soulignent l’inanité de leurs minuscules egos dans des mises en scène vaudevillesques ou des exercices d’actor studio à faire rougir de honte un Ange de la Télé-Réalité.
L’urticaire de ces bloggueurs vidéos s’étend avec facilité et complaisance parce que personne ne voit d’inconvénient à ce que la culture Wik-expédiée, participative, soit relayée par ces têtes de cul imbues d’elles-mêmes, qui se filment pendant que chauffe encore la tarte au sureau préparée par Maman au rez de chaussée. Lorsqu’ils se dotent d’une conscience politique, c’est encore pire : l’impayable Conversano, aussi haïssable que les putes à clics en sarouels qu’il dénigre, et tous ces vloggueurs de la dissidence, une dissidence planquée derrière ses claviers qui mendie systématique l’obole qui leur permettra de monétiser les atermoiements de leurs fions contractés de stimuli auto-compassionnels.


Les critiques du dimanche ne sont pas en reste, comme l’infâme « Fossoyeur de Films » et sa gueule de mannequin pour Tex, complètement confit dans sa condescendance de cinéphile du pauvre, niveau pigiste pour Cinélive.
Sans parler des vulgarisateurs qui tentent de mettre à portée de caniche n’importe quel courant cryptique qui ne leur a rien demandé, et surtout pas d’être commenté et « décortiqué » par leurs petites bouches de Oui-Oui luisantes de suints méatiques. Le black metal, l’histoire de France, tout y passe, n’importe quel bac + 3 un peu imbu de sa personne se met à filmer sa gueule pétrie d’orgueil pour nous raconter en 30 minutes ce qu’on pourrait lire en 2.


C’est le syndrome de cette société moderne qui n’est plus capable que d’egos : faute de Mouvements, d’Histoire, elle met en boucle, en réseau, ces petits egos bouturés et bavards, elle dénerve la Culture de son sens et de sa Raison en la limitant au récit scolaire de ces premiers de la classe du «You Tube Game». Tout devient égal, acausal, sans relief, tout se ramollit dans ces micro-bouches tordues par l’auto-satisfaction. Il n’y a plus de maître, plus d’élèves, juste des tétards hydrocéphales, tritons de la grande fosse d'aisance digitale qui entretiennent sans fin, entre eux, l’illusion d’une commutation sociale, là où il n’y a désormais que l’entropie tragique d’une transparence totale de la connaissance, et d’une sujétion de l’information à l’informant.
Si la culture ne doit pas rester à l’usage de l’élite, elle ne doit certainement pas non plus être trainée dans le smegma égotique de ces grooms de la médiocrité.
En vous souhaitant une bonne soirée.

jeudi 16 février 2017




Observez le défilé des contrits qui se pâment, les plumeaux croulant sous le poids de leurs larmes en carton,, les cis-genres déconfits par leurs privilège , les fucking white males prêts à se déprendre immédiatement de leur scandaleuses prébendes morphogénétiques pour un peu de compassion congoïde, les étudiants en sarouels toujours prêts à échanger quelques heures de cours de socio contre un piquet de manif arrosé à la Valstar et aux mauvais slogans anti-flics, observez les professionnels de la compassion qui encadrent tout cela, car c’est maintenant un process éprouvé qui doit comporter tout ce qu’on attend de lui : le chapelet de micro-réactions, la litanie sous lithium des pleurnicheries masochistes, le narcissisme larvé qui sert de socle à tous ces slogans « Je suis » comme si l’empathie n’était possible qu’à travers un jeu de rôle infantile et auto-centré, le rejet de toute considération de lutte des classes contre une problématique parodique de domination blanche…
Maintenant observez en face les tenants de la réacosphère qui confondent une fois de plus une nécessaire dissidence et un trollage de bas étage, les chantres chauves de l’humour pour VRP, la gestation spontanée et stercoraire des « mêmes » sur les réseaux sociaux, qu’on s’échangera pour tuer le temps caillé des open spaces et des alcôves de placo chicoteux où la médiocrité se lampe à même le sol, observer l’océan de ces bouches torves et ricaneuses, malséantes, gênées et gênantes, frangées de « bons mots » pour mieux cacher la vacuité de leur morale désertée par l’altruisme.
Observer l’entièreté de la République Française littéralement au chevet d’un anus, décrivant dans les grandes largeurs (sic) l’étendu d’une fissure anale comme si, par le jeu d’une synecdoque colo-rectale, , la température d’un pays pouvait brusquement se prendre au diamètre d’un seul trou du cul.
Le trou du cul, on le sait, a pour lui de provoquer une assimilation automatique, c’est presque un puits gravitationnel qui attire à lui tous ceux, qui, par l’effet d’une sorte de prolapse ontologique, sont devenus eux-mêmes d’énormes trous du cul ouverts à tous les vents de la compromission et de l’opportunisme éhonté. Se définir par le séant est désormais usuel, on ne pourra donc en vouloir aux contempteurs de l’ordre moral de se ranger au pied des chars de la Gay Pride et des fisteurs en cuirs et clous présentés comme d’aimables bon-vivants aux hobbies somme toute badins.
Il ne s’agira pas pourtant ici de filer la métaphore : les faits sont cruels, glauques, et le défilé des alligators et des sponsors de tout cuir ne fait que poser une loupe déformante et abjecte sur ce trou du cul dont, personnellement, je n‘avais envie de ne rien savoir. Comme disait Baudrillard, « il y a une égale violence à prendre la défense des victimes, car la commisération est obscène. » La foule de ces pleureuses doit par conséquent grossir, mentalement, cet anus déjà prodigieusement dilaté. Il est probable qu’actuellement il ait pris dans la tête de l’adolescent des proportions déjà gigantesques, sorte de soleil bataillien du sacrifice qu’il sera dur de dépasser. Tout sa vie, ce garçon sera l’homme enfionné par la police, sacrifié pour l’exemple sur l’autel païen de la dalle d’Aulnay.
La vraie cruauté ne se trouve pas dans l’acte en soi mais bien dans cette curée à l’envers qui se produit, dans ce vampirisme des pleurnicheries et des endossements pathétiques de toute une frange d’histrioniques becqueteurs de faits divers.
On oublie surtout , d’un côté comme de l’autre, que le vraie conflit que ce sinistre fait divers souligne n’est pas qu’un conflit racial mais aussi une lutte des classes. Les flics sont des travailleurs sociaux qu’on envoie au casse pipe, avec une formation accélérée, dans des zones de non droit. On ne peut pas comprendre à moins d’y vivre à quel point la tension a pris des proportions irréversibles et a ensauvagé, animalisé sa population. Dans ces zones méta-urbaines créés à dessein par le Capital, la lutte des classes s’est cloudée sous une forme tératogène, travaillée en sous terrain par des problématiques post-coloniales et identitaires, certes, mais surtout générée par une pauvreté crasse et une absence d’horizon qui transforme tous ceux qui y vivent en animaux déjetés sur la grande rive de crasse du Monde-Vampire, dans les incubateurs à misère du parc immobilier pompidolien hideusement érigé aux portes de nos cités.
Flics comme racailles ne sont que des créatures-éprouvettes, des relapses modernes, ils endossent pour nous la guerre civile, pendant qu’on entretient notre cancer moral dans les bars à céréales. Ce trou du cul cache surtout tout un pan de faits divers que nos politiques et nos médias misérabilistes oublient savamment de relayer : les milliers de flics qui passent leurs journées les mains dans la crasse humaine, qui raclent sans fin les sédiments de la haine raciale, intoxiqués eux-mêmes peu à peu par le poison de ces âmes jamais nées, de ces populations aveuglées par le désespoir et la laideur pouacre des hochets qu’on leur tend en guise de symboles d’insertion. Les énarques et les bâfreurs en col blanc sont-ils allés rendre visite à la famille de cette femme-flic suicidée après avoir été violée par quatre banlieusards qui seront probablement relâchés dans quelques années pour avoir bien appris leurs sourates en prison ? Ce n’est pas un souci : le trou du cul de Théo avale tout, mélange tout. Un vrai composteur industriel. Ce qu’il faut à la France, en définitive, c’est une bonne poire à lavement.

vendredi 10 février 2017





«On aime Michel». Cette phrase, entendue dans la bouche d’un chroniqueur sur la pourtant peu amène Radio Courtoisie, a sans doute achevé de me convaincre qu’il y avait quelque chose de proprement sidérant dans le consensus qui régnait autour de notre écrivain national Michel Houellebecq. Récemment encensé pour son intervention grésillante sur une télé argentine, le neurasthénique Irlandais d’adoption a également eu les faveurs des Cahiers de l’Herne, une institution en général réservée aux très roides amateurs de pissenlits. Houellebecq a réussi le tour de force – n’en déplaise au roquet Nabe qui se lamentait encore il y a peu d’avoir vu le basset artésien s’élever dans les hautes sphères de l’édition pendant que lui-même végétait et rongeait son frein rougi d’effort dans l’insalubre riad mondain tracé entre la rue de Bièvre et le Flore – de réconcilier les Inrocks et Le Figaro, imposant à peu près partout l’évidence de sa silhouette affaissée, sorte d’écrivain mou au même titre que pouvaient l’être les montres de Dali : une mue de prosateur diligemment jetée sur le reste de la littérature française, cachant sa propre indigence dans les replis de sa voix blanche, de ce style qui brille avant tout par son absence. Magnifique absence ? Au moment même où le cadavre de Dantec pourrit et où son œuvre est considérée avec le silence narquois des hyènes qui jadis lui jetèrent l’opprobre, on peut s’interroger sur le destin étonnamment intriqué des deux écrivains, et sur ce qu’il raconte de l’état de la littérature française.
Retournons donc aux portes de l’été 2016 : Dantec venait de passer l’arme à gauche (sic) et la Côte d’Azur s’apprêtait à subir de plein fouet la terreur islamiste sous les traits d’un djihadiste mono-neuronal (mais bisexuel) amateur de C’est Pas Sorcier. Parmi les événements périphériques qui ont contribué à engrosser le fumier capiteux de cette fin de République enterrée peu à peu dans ses propres sanies à l’orée de la saison estivale, la pantomime a-gesticulatoire de Michel Houellebecq, se pliant au jeu de la promo face au groom funeste du Petit Journal, a fait figure d'hypogée de notre siècle rogné, et a ouvert de manière bien funeste cet été meurtrier. Non content d'obéir avec complaisance aux injonctions du speaker hydrocéphale de Canal+, composant avec une bonhomie agaçante son propre personnage de Droopy cynique mais touchant, Houellebecq était présent sur le plateau de la chaîne cryptée car rendu coupable d'une «exposition», bien que flatulence fut sans doute un terme plus juste, dans ce lieu qu'Yves Michaux désignait comme le trône de l'art à l'état gazeux, c'est à dire un lieu où tout est art, donc un lieu qui supprime l'art, dans une sorte de geste sublime d'abscission…
Il a suffi de parcourir les allées du Palais de Tokyo pour comprendre à quel point la créature Houellebecq a remplacé l'homme : au premier abord l'équation houellebecquienne, dessertie de sa prose et donc de sa forme, semble inconséquente, répétée et auto-parodiée à l'infini dans une succession de salles qui pourrait tout aussi bien s'intituler : L'art moderne pour les Nuls. Collection de photos aux relents vagues de Depardon (lui-même une sorte d'entolome à face humaine qui s'est vaguement contenté de biffer toute présence organique de ses panoramiques périurbains, avec la grâce d'une publicité Carglass), reconstitution fainéante d'espaces mentaux congestionnés, l'art plastique de Houellebecq semble complètement dépassé et figé dans le goitre mou des années 90, là où les choses, lancées sur une parallaxe du vide pour engrosser la tumeur du numérique, se sont reproduites dans le protoplasme de l'idiotie la plus totale. Aujourd'hui, on dirait «gorafisé», mais le webzine satirique a été dépassé par le réel depuis bien longtemps. South Park non plus ne fait plus rire depuis que n'importe quel fait divers ou décision politique renvoient ses épisodes les plus grotesques au carême.
De quoi nous faire oublier le plus beau texte de Houellebecq, qui fut un essai baroque consacré à Lovecraft : la figure pâle et hiératique du cacochyme de Providence convoquait étrangement celle de Houellebecq lui-même, écho tremblant d'une ligne claire de la mélancolie projetée à travers le passé vers les funestes horreurs cosmiques de Lovecraft, reliant avec une quasi-sérénité le post-moderne éreinté au post-romantique déjà enflé par les horreurs du XXe siècle, ballons de chair émétique en suspens dans l'air des possibles... Qu'ont jamais été les Grands Anciens sinon une sorte de réminiscence proto-gnostique révélée par la désertion des croyances et la progression funambulesque de la technique ? Les Lovecraft, Nerval, Bloy, Lautréamont et autres sorciers eschatographes que la fin du XIXe a révélés, comme fossiles d'eux-mêmes, portaient en eux les guerres à venir et les machines à abêtir et à bétail. Dernière congestion d'une époque usée par son propre futur, il s'est développé une véritable littérature de la fin des temps dont nos auteurs modernes et postmodernes ne sont que les moines copistes, déchiffreurs de signes erronés dans la cendre des guerres qui ont tué l'Europe, et donc le monde.
Toute trajectoire d'écrivain est un aller et retour, et l'écriture, faute d'être un bâton de pèlerin, relève davantage d'une machine à estropier, d'un cilice plus ou moins imposant serti dans la chair des espérances. Lovecraft est parti à New York, il en est revenu : la matière principale de ses grands textes peut être vue comme un simple rapport, la description de cet aller et retour, de ce glissement du regard. Toute œuvre majeure est le fruit d’un dé-placement, et de la dissonance cognitive qui en résulte. Transformation de l'empathie première du romancier en horreur sublunaire.
Seulement voilà : la plupart des écrivains, aujourd'hui, ne reviennent pas chez eux : ils s'engluent dans la vase des mondanités, ils diluent leur semence première dans la salive qu'ils dépensent à courtiser, ils ont le postillon facile pour parapher le pourtour anal des décideurs, mais au fond leur premier texte sera le seul à exister, et ils n'auront de cesse de courir après, incapables de voir qu'il leur suffit de rentrer chez eux.
Aujourd'hui les quelques rares écrivains qui disent au lieu de parler, qui montrent au lieu de décrire, n'ont pas la force de revenir. Captifs de leur personnage, ils s'évertuent à inventorier les spasmes de leur ego dans des opuscules toujours plus vides, toujours plus désertés de substance. Houellebecq n'échappe pas à la règle, mais dans une sublime conscience de la chose : on a mal compris que si son dernier livre s'appelait Soumission, ce n'était pas tant celle de l'homme blanc à l'islam, mais bien celle de l'écrivain au personnage public, celle de l’artiste à la médiacratie. À ce titre, l'exposition du Palais de Tokyo enfonce le clou : Houellebecq n'est plus qu'une marque, un sigle, une signature, à l’instar du coprocrate Koons, qu'il brocardait dans son précédent ouvrage. L'art contemporain peut tout à fait se passer d'art dès lors qu'il se pare de persona, lorsque ses egos déligaturés flottent comme d'improbables baudruches, couturées d'écrouelles, à l'horizon de notre triste finitude.
Si Houellebecq se plie à la promotion, racle ses fonds de tiroir, se met en scène, se divise et semble presque jouir d’ubiquité, créature averyenne, c'est pour nous faire oublier qu'il n'est pas là : il est parti depuis bien longtemps. Un écrivain qui n'a pas la Foi est condamné à disparaître, à retourner à l'état gazeux : concordance parfaite avec cette œuvre de Renaud Marchand qui résume l'homme à une poignée de capsules renfermant les éléments chimiques de son organisme : et si l'homme ne se résumait qu'à ça, au fond ? Étrangement l'œuvre pousse à croire, car c'est bien la Foi qui transforme l'atome, cette opération infiniment singulière du retrait du Divin qui laisse à voir l'homme dans sa forme d'épousé du cosmos.
Houellebecq a conscience, comme son alter ego dans Soumission, que le manque de Foi propulse l'homme occidental dans un vortex de néant. Sur les traces de Huysmans, le bigot tardif, qui a dit devoir choisir entre le canon et le crucifix, le narrateur de Soumission traverse comme un fantôme une France ruiniforme pour reconnaître in fine qu’il n'a plus l'envie de croire. L'Europe n'est plus qu'un gigantesque mausolée, le christianisme une parodie de parodie, essoré et travesti, et l'Islam, religion encore pubescente, semi-débile mais sûrement moins corrompue, a peut-être selon lui une certaine légitimité à entrer en Europe. On peut effectivement choisir de préférer l’homme qui brandit un Coran à celui qui agite un exemplaire de Charlie Hebdo comme unique symbole de sa probité morale.
Voilà pourquoi Soumission est programmatique, l'aveu semi-conscient de la façon dont l'écrivain se plie depuis des années au jeu des puissances, infectant l'appareil médiatique comme un virus mou, capable de se démultiplier à l'infini, de se fragmenter, sorte d’amibe, pour investir la totalité du champ artistique, omniprésente métastase non létale reproduite et bouturée dans les alcôves du monde médiatique parisien, espèce de ready made humain qu'on vaporise habilement sur les sutures encore fraîches d'un monde dénervé de toute capacité d'émerveillement : Houellebecq n'est plus un écrivain, c'est un gaz, un précipité, cet ubik dickien, confortable pour tout le monde, un pansement gastrique sur la grande couture avariée de la littérature française, infiniment soluble dans son époque.
D'un côté, l'écrivain en voie d'évaporation, de l'autre, l'écrivain consumé : il n'y a pas de coïncidences dans l'Histoire, juste des juxtapositions fatales. Au moment où Houellebecq se singe lui-même sur le plateau du Minuscule Journal, son contemporain Dantec, sorte de double illuminé, livrait à l'Infini sa carcasse malmenée par la maladie. Consumé, Dantec l'a été : sa fascination de garçonnet pour les armes, son atlanto-sionisme forcené, son exil québécois aux relents de désertion, son néo-conservatisme obtus lubrifié à la mescaline doivent finalement être perçus davantage comme les colifichets d'un vieil adolescent revanchard que comme les combats de sa vie. Ils sont devenus peu à peu la colonne vertébrale de sa folie.
Son vrai combat, il l'a mené ailleurs, en témoigne cet objet métaphysique, cette figure du délabrement qu'était devenu son corps, littéralement martyrisé par son temps, brûlé par une fréquence d'être trop accaparante. Ainsi vont les véritables romanciers : ils ne sont pas des individus à part entière, mais des canaux à révélations, des pantins de chair assujettis à la puissance évocatrice des mots, des vassaux du Verbe incarné. High octane ascension, aurait pu dire l'intéressé, dans ce raccourci sémantique qu’il affectionnait, assimilant constamment balistique et révélation théurgique. Dantec avait compris que le rôle principal de l'écrivain était d'ordre prophétique, magique, qu'il s'agissait d'un travail d'empathie confinant à la sorcellerie, qu’il était question, avant tout, de faire parler les morts. Toute son œuvre sera tenue dans ce grand écart, d'un côté une empathie christique pour la race humaine et de l'autre un dégoût et une terreur pour ce qui pouvait avilir notre part divine, ce monde machinique et mécaniste inventé à l'orée du XVIIIe siècle et sécularisé au prix de ce qu'il appelait les «deux grandes guerres civiles européennes».
À ce titre Dantec incarnait à la fois l'enfant des années 70, constamment à la recherche d'une figure paternelle et dans l'obsession létale de s'inventer une légende transnationale, et un enfant du siècle, hussard sacrifié sur l'autel d'un mysticisme dévorant. Silhouette archéo-néonique quelque part entre William Gibson et Léon Bloy. Incapable de choisir entre sa capacité à s'extasier sur le déploiement technique de l'homme du XXe siècle, et sa profonde nostalgie d'un monde de la Tradition où l'homme semblait tutoyer directement le cosmos. Dans une fulgurance quasi schizophrénique et souvent hermétique, Dantec a tenté l'œuvre au blanc des alchimistes : composer avec une matière première impure, celle du polar des années 80, une œuvre qui tenait parfois davantage de la spéculation théologique, pour en tirer une sorte de roman total, un Roman-Verbe : l'histoire n'étant qu'un prétexte pour donner au Verbe sa chair, un mille-feuille de références et d'apostilles, un projet d’auto-consumation. Car enfin, un écrivain n'est jamais que le périphérique de sa propre œuvre, une simple clé USB faite de tripes et de tissus… Un écrivain n'a pas d'ego, il est littéralement l'Ego du monde. Et il le paye, en général, de sa vie. Que nous reste-t-il de Dantec ? Certainement pas cet «humain modifié», raclé de l'intérieur par la maladie, qu'il nous a été donné de voir ces dernières années. Ce qu'il nous reste, c'est l'œuvre, une œuvre organique et vivante, bien plus qu'il ne l'a été lui-même, une œuvre capable de voir et dont l'écho accompagnera probablement encore longtemps le délire du monde moderne. La schismatrice, c'est ici et maintenant.
Les deux écrivains ont en commun le sacrifice de leur personne : l’un a sacrifié son âme, l’autre son corps. Dantec, pour la démesure, le baroque, la mystique, et surtout une insolubilité complète dans le bain médiatique, là où le romancier à tête de basset semble au contraire y frétiller (mollement) d'aise. Cependant les deux sont des humains profonds qui ont à composer avec le désenchantement du réel. L'un accompagne le délabrement moral du monde avec un détachement de sybarite revenu de tout, l'autre a choisi la désertion et la folie.
De fait, Houellebecq et Dantec créent une étrange dynamique de l’absence, générant un portrait en creux du grand romancier français qui aurait pu naître à leur conjonction, dans leur transversalité. Tous deux en effet n’assument pas ou peu la forme romanesque pure : le premier se complaît dans une autofiction paresseuse où les oripeaux autobiographiques de sa misère sexuelle servent d’agrégateur, de liant artificiel. Grand lecteur de science-fiction, il a eu le génie d’en diluer les thématiques dans une chronique mondaine facile, s’assurant ainsi les têtes de gondole les plus mainstream. Dantec au contraire a choisi l’hyperfiction, ses personnages sont des archétypes vides et fantasmés, dénués de toute psychologie vraisemblable, ils sont autant de figurines enfantines vouées à l’action pure (ce que les marchands de jouets appellent précisément dans leur jargon des action figures), et condamnées à faire passer à la truelle les circonvolutions pneumatiques de sa psyché.
L’un se situe au début du travail romanesque, agissant presque comme un preneur de notes, incapable d’extraire une intrigue valable de son terreau égotique. L’autre se situe à la fin, au terme d’un programme graphomane obèse de références et de digressions, dans le baroque pur de l’empilement et de l’auto-exégèse, à la façon dont Dick écrivit la sienne sous le diktat cosmique d’une lumière hyménale. C’est comme si Houellebecq avait pris des notes pour Dantec, ou comme si Dantec avait forgé sur les pages de l’édenté un palimpseste délirant : pour autant, aucun des deux n’assume ni la science-fiction, ni le roman, peut-être conscients trop tôt d’avoir à faire à un lectorat de veaux, et sans doute grisés par l’argent facile promis par les page-turner et les historiettes de cul. Ce qui est évacué entre leurs œuvres respectives, ce qui se dessine en filigrane, c’est le spectre d’un grand roman français qui n’a pu aboutir, relevant à la fois de l’anticipation sociale, de la chronique urbaine et de la prosopopée mystique. Las, les deux figures nomades ont vampirisé de l’intérieur cette possibilité d’un livre.
On peut alors ironiser sur Houellebecq donnant des leçons de liberté d’expression, s’indignant qu’Éric Zemmour soit bâillonné par les médias, alors que lui-même semble s’être réincarné en marque de lessive ou en application iPhone (prochain fait d’armes en vue : un film tiré de Rester vivant réunissant de façon improbable Iggy Pop et Gersende Bessède). Au même titre que Philippe Muray, Houellebecq est avant tout un observateur sous benzo, un poseur de constats : sa voix pâle, atone, accompagne parfois avec grâce et sensibilité la litanie d’un monde d’après la Chute, figé dans une bulle d’immobilité et répétant sans cesse les mêmes hoquets d’entropie. On ne peut lui enlever cette espèce de romantisme d’après la fin, un romantisme de centre de soins palliatifs, immunisé contre le monde, un romantisme qui se tirera une balle, façon Dagerman.
Mais que reste-il de la littérature, entre ces deux hommes qui ont oublié d‘être des hommes, l’un par lassitude, l’autre par orgueil ? Peut-être la fulgurance d’un certain esprit français qui, depuis deux siècles, ne brille que dans son déclin. Et c’est peut-être ce qui le sauve, Houellebecq, cette résistance molle qui au fond, lui permet de ne jamais ployer : qu’il parodie son propre personnage sur les plateaux de télévision ou qu’il établisse un constat lucide des évolutions sociétales de la France des années 2000 (et ce à demi plongé dans le noir et avec un micro saturé, on jurerait une performance destinée à entériner son image de clown triste), il reste finalement fidèle à ce qu’il est. Et il peut se le permettre, car il n’est pas grand-chose : mais suffisamment, reconnaissons-le, pour incarner le dernier soubresaut d’une pensée non confite dans la puante bienséance des puissants.